Face aux derniers événements tragiques et pour protester contre une politique carcérale qu’il estime « en déroute », le premier syndicat pénitentiaire Ufap-Unsa Justice a tenu à dénoncer les dysfonctionnements de l’administration et à pointer du doigt les nouvelles mesures du gouvernement. Aymeric Regneau, délégué syndical UFAP-UNSA et éducateur sportif au sein du Centre Pénitencier Orléans-Saran nous explique son point de vue.
Orléans Actu : que pensez-vous de l’isolement des détenus islamiques radicaux comme le gouvernement l’envisage ?
Aymeric Regneau : le nombre de prisonniers en France a franchi un nouveau record début décembre : 78 419 personnes incarcérées ( 68 859 en avril 2014 ). Le nombre de détenus augmente alors que le nombre d’agents stagne. Le gouvernement propose l’isolement des plus radicaux mais encore une fois, c’est une décision qui a été prise sans réelle concertation avec les syndicats pénitentiaires, qui sont, à la différence des politiciens, sur le terrain. Beaucoup d’établissements ne pourront pas appliquer cette mesure. Au CPOS ( Centre Pénitencier Orléans-Saran ), nous avons 12 cellules d’isolement donc nous pourrons l’appliquer. A l’ancienne maison d’arrêt d’Orléans, nous n’aurions pas pu le faire, nous n’en avions que deux. Hélas, beaucoup de prisons sont encore sous le même modèle.
O.A.: cette mesure n’est pas suffisante selon vous ?
Aymeric Regneau : absolument pas !! Il faut faire de grandes réformes. A l’heure actuelle, le détenu moyen à un téléphone portable dans sa cellule, met à jour son profil Facebook, communique avec qui il veut à l’extérieur. Les portables sont évidemment interdits en prison mais comme nous ne pouvons plus fouiller les détenus, ils se font livrer ce qu’ils souhaitent, soit par projection, soit par les parloirs. Les cellules étant trop encombrées, la guerre des téléphones est perdue depuis longtemps. Les différents gouvernements se sont succédés et leurs politiques ont été de plus en plus permissives. Avec Madame Taubira, nous sommes à l’apogée. Les détenus l’aiment beaucoup, c’est vous dire qu’elle va dans leur sens. La loi Taubira par exemple permet désormais aux récidivistes de bénéficier des mêmes crédits de réduction de peine que les autres condamnés ( 3 mois la première année, 2 mois pour chaque année suivante, au lieu de 2 mois pour la première année et un mois pour les suivantes ). Vous connaissez les derniers projets Taubira ? Créer des syndicats de détenu. C’est la goutte qui fait déborder le vase.
O.A. : quelles sont vos dernières revendications ?
Aymeric Regneau : Nous avons les mêmes revendications que la gendarmerie et la police. Nous sommes en sous effectif. De plus, nous passons énormément de temps à nous justifier de nos actes auprès de notre hiérarchie. Nous sommes plus « fliqués » que les délinquants. Nous avons l’impression de ne pas travailler dans le même sens que nos grands patrons, qui eux ne pensent qu’à leurs primes d’objectif. Pour finir, nous n’avons pas de matériel pour travailler convenablement. Dernièrement, une voiture de chez nous a perdu une roue sur l’autoroute lors d’une extraction judiciaire. Les agents ont failli perdre la vie parce que le véhicule était trop vieux.
O.A. : qu’entendez-vous par « trop permissif » ?
Aymeric Regneau : l’article 57 nous a fait très mal. On nous interdit à présent de fouiller les détenus. C’est un comble. Nous étions déjà des passoires, nous le sommes encore davantage. Les photos de la prison des Baumettes sont le triste reflet du parc pénitencier français ( Voir les différentes photos. Cliquez dessus pour les agrandir ). N’oubliez pas le Harlem Shake juste avant également ( voici le lien, cliquez dessus : http://youtu.be/bmzOhf3QNcs ). Les prisons nous échappent alors qu’elles sont le cœur même de la justice. Les détenus ont tout à disposition, nous en avons fait des assistés : cours de sport, cours de yoga, unité sanitaire à disposition, théâtre, bibliothèque, écran plat en cellule, code de la Route. Tout cela gratuitement bien sûr. Les détenus se lèvent à l’heure qu’ils veulent, regardent la télé à longueur de temps, jouent à la console de jeu, fument leurs joints. Nous leur donnons l’éducation contraire à celle que l’on donnerait à nos enfants. Nous avons fabriqué des enfants gâtés et capricieux qui nous hurlent dessus dès qu’ils n’ont pas ce qu’ils souhaitent. C’est un triste constat mais c’est une réalité. Le premier responsable ? Le gouvernement. Il a voulu acheté la paie sociale en pactisant avec le diable.
O.A. : quelles sont les solutions selon vous pour éradiquer les radicaux ?
Aymeric Regneau : Il faudrait des fichiers communs entre la police et la pénitentiaire. Nous voyons des choses qui pourraient fortement intéresser. Pour l’instant, rien n’est fait. Il faudrait également contrôler les coups de téléphone avec plus d’agents. A l’heure actuelle, nous avons un seul agent chargé des écoutes ( pour 600 détenus ). Il ne parle pas arabe en plus. Nous avons officiellement 43 % de musulmans parmi les détenus en France. 10 à 20% sont radicaux, ce qui fait entre 3300 et 6600 détenus concernés. Vous comprenez l’ampleur du problème ? Nous avons plus de 3300 terroristes potentiels.
La prison divise l’opinion public. Pour certains, elle doit être le milieu exclusif de l’expiation, pour d’autres un nouveau départ. Malheureusement, elle ne donne pas l’occasion à ceux qui veulent s’en sortir de retrouver leur chemin, elle ne punit pas non plus de la meilleure manière les délinquants qui profitent du système. Comme dans le film « Le prophète » que je trouve extrêmement proche de la réalité, nous restituons à la société l’individu dans un état bien pire qu’à son entrée. La prison, c’est l’école de la délinquance en France. Elle fabrique des Coulibali et des Kouachi. Depuis des années, dans nos revendications, nous n’avons jamais parlé de revalorisation salariale. Nous avons toujours mis en avant l’intérêt de notre pays. La France, nous l’aimons tous dans notre profession. FRANCE, réveille toi …